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8.12.2022

Valéry Cottel (groupe Réma/You/Portea) : « Je suis très optimiste pour notre secteur à moyen terme… même si je suis plus réservé quant à l’année à venir.»

Toujours très inspiré lorsqu’il évoque le marché français de la cuisine équipée et de l’aménagement d’intérieur, Valéry Cottel, président du groupe Réma/You/Portéa, a accordé à la rédaction de Cuisines & Bains Magazine un entretien fleuve, passionnant et passionné, au cours duquel il n’a éludé aucune question : résultats du groupe, coûts de l’énergie, perspectives de développement de l’entreprise qu’il dirige et du marché, prééminence avérée ou supposée du commerce « sous concept » sur le marché en question, etc. À lui la parole !

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Cuisines & Bains Magazine : Le groupe Réma/You/Portéa clôture chaque année ses comptes au 31 mars ; alors que l’exercice en cours est déjà bien entamé, les résultats sont-ils, pour l’instant, satisfaisants ?

Valéry Cottel : À fin octobre 2022, nous avions réalisé une croissance de 7,5%, ventilée de la sorte: + 9 % pour Charles Réma, + 7,25% pour You et + 5,30% pour Portéa. Je rappelle incidemment que nous avons clos l’exercice précédent (2021-2022) en affichant un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros, en progression de plus de 20 %.

En ce qui concerne l’année fiscale en cours, nous n’avons donc pas constaté, pour l’heure, de baisse significative d’activité… Même si nos clients cuisinistes ainsi que nos deux points de vente Charles Réma détenus en propre nous font part d’un ralentissement du trafic en magasin depuis quelques mois.

groupe Réma/You/Portea
Modèles Éclat et Marpesa de Charles Réma. Conception et réalisation, Charles Réma Bourg- en-Bresse. Partenariat avec EK Création pour le stylisme, le choix des matériaux et l’harmonie coloristique (www.ekcreation.fr). © Stéphane Godin

Si ce trafic – après une année 2021 qui, suite à une fermeture des magasins au printemps, a battu tous les records en termes de fréquentation – est en voie de normalisation, le taux de transformation, quant à lui, est excellent ! J’entends par là que les particuliers qui nous rendent visite sont de plus en plus « qualifiés » : bien souvent, le point de vente dans lequel ils se rendent a été soigneusement choisi au préalable, et le projet a été préparé en amont. Quant aux budgets dévolus à la cuisine équipée, ils augmentent de manière sensible; ce qui contribue à pallier la baisse de fréquentation.

De la même manière, les hausses tarifaires que nos confrères et nous-mêmes avons été contraints de répercuter (du fait de l’augmentation des coûts des matières premières) sont venues compenser la baisse de volume enregistrée.

CBM: Les particuliers préparent de plus en plus leur visite en magasin, nous dites- vous : sur Internet, notamment ?

Valéry Cottel : Nous ne disposons pas d’études chiffrées à ce sujet, mais les renseignements de première main qui nous parviennent du terrain nous permettent d’affirmer que le consommateur, lorsqu’il passe la porte d’un point de vente, est de plus en plus averti : il sait que le distributeur qu’il sollicite est indépendant, il connaît la ou les marques que ce dernier commercialise, et témoigne d’attentes assez précises: sur la notion de fabrication française, par exemple, ou sur les typologies de matériaux qui l’intéressent en ce qui concerne les façades ou le plan de travail.

Nous en concluons donc qu’une recherche préalable sur le Web a été effectuée. J’y vois là, d’ailleurs, une explication à l’amélioration du taux de transformation ; malgré une fréquentation en baisse, nous réalisons des performances commerciales très satisfaisantes grâce à ces consommateurs plus qualifiés qu’auparavant. Naturellement, je ne parle que du segment moyen/haut de gamme qu’occupent nos marques: soit, en moyenne, un budget autour de 15 000 € pour You, et entre 20 et 25 000 € pour Charles Réma.

groupe Réma/You/Portea
Grande tendance de l’année 2022, le noyer foncé à l’allure chic et intemporelle est mis en valeur par des niches habillées d’un surprenant décor effet tweed, tandis que les poignées en laiton apportent l’ultime touche raffinée. Un dressing à fort caractère ! Avec ce modèle sur mesure en « U » de Portéa, tout est mis en œuvre pour faciliter la vie au quotidien : vastes armoires de rangement, tiroirs pour les sous-vêtements, éclairage intégré ponctuel et tamisé.

Je précise pour finir sur ce sujet que les réseaux sociaux (Facebook, Pinterest, Instagram, etc.) sont de plus en plus sollicités lors de cette quête d’information. Les consommateurs recherchent notamment des réponses concrètes en termes d’esthétique, d’ergonomie, d’optimisation de l’espace, etc. À charge pour nos clients distributeurs et nous-mêmes d’exploiter au mieux ces nouveaux médias.

CBM : Les difficultés qui impactent la chaîne logistique depuis le début de la pandémie grèvent-elles toujours l’activité ?

Valéry Cottel : En termes d’approvisionnement, nous ne connaissons plus, à date, de problèmes majeurs. Certes, nous avons été contraints de répercuter auprès de nos clients les hausses tarifaires que nous ont imposées nos distributeurs ces 18 derniers mois, mais ces dernières, pour l’heure, ont été relativement bien acceptées. Restons prudents, toutefois: les augmentations de ce genre se digèrent toujours mieux lorsque le marché est porteur, ce qui est le cas aujourd’hui. Si celui-ci venait en revanche à se tendre, il en irait peut-être tout autrement.

Maintenant, le grand sujet d’inquiétude est celui lié au coût de l’énergie. Nous ne disposons d’aucune visibilité – ou presque – concernant cette problématique qui, du reste, engendre souvent de graves injustices; j’entends par là que, selon le moment où le contrat a été signé, l’entreprise est plus ou moins longtemps protégée. Ainsi ceux qui, parmi nos confrères industriels, arrivent en ce moment au bout de leur contrat, n’auront d’autre choix que d’accepter des hausses de tarif proprement sidérantes !

En ce qui concerne le groupe, nous nous considérons comme chanceux, dans la mesure où nous sommes protégés jusqu’au printemps 2023 sur la tarification gaz et, jusqu’à l’automne 2023, sur la tarification électricité. Donc, à date, nous ne sommes que très peu impactés en matière de hausse des coûts d’énergie. Qu’en sera-t-il dans les mois qui viennent ? J’ai tout de même bon espoir que la situation s’améliore, dans la mesure où celle-ci est en partie liée au fait que la moitié du parc de centrales nucléaires françaises était jusqu’alors à l’arrêt. Or, d’après ce que nous annoncent les pouvoirs publics, 80 % d’entre elles devraient être en activité d’ici février 2023, ce qui devrait mécaniquement faire baisser la tension et les spéculations. D’autre part, force est de constater que le gouvernement prend ce problème à bras-le corps; je laisse à d’autres le soin de débattre s’il en fait suffisamment ou pas, mais je constate qu’un certain nombre de mesures ont d’ores et déjà été prises pour plafonner les prix ou compenser une partie des écarts lorsque les contrats étaient trop chers. Aussi espérons-nous que, dans les six mois qui viennent, d’autres mesures seront mises en application.

Si la situation ne s’est pas améliorée lorsque viendra le moment de renouveler nos contrats, nous ferons comme d’autres ont fait avant nous : nous nous engagerons sur une courte durée… en espérant un retour à meilleure fortune dans des délais raisonnables !

CBM: Vous avez exposé, avec les marques Charles Réma et Portéa, au salon EspritCuisine qui s’est tenu en novembre 2022 à Paris Expo porte de Versailles: quel bilan faites-vous de cette participation ?

Valéry Cottel : Nous sommes ravis d’avoir participé à la seconde édition de cette manifestation dont l’enjeu, cette année, était d’autant plus important pour les différents acteurs du marché français que nous avions appris, quelques semaines auparavant, l’annulation du SADECC 2023.

Le résultat : un salon de très belle facture, une fréquentation au rendez-vous… et de très belles rencontres, sur un stand conçu comme un appartement (comprenant entrée, dressing, bibliothèque et cuisine) et à l’image des deux marques : fabrication française, positionnement premium accessible, expertise du vrai sur-mesure et soin tout particulier apporté aux finitions. Nous avons notamment profité de ce salon pour présenter à nos clients et à nos prospects l’une des grandes nouveautés 2023 de la marque Charles Réma: le changement de dimensionnel pour les meubles bas, qui passera en début d’année prochaine de 75 à 80 cm, et qui implique une refonte esthétique entière de la gamme, du fait notamment de problématiques d’alignement. Nous avons également dévoilé, en avant-première à EspritCuisine, notre nouvelle collection de façades et de plans de travail.

groupe Réma/You/Portea
Lors du salon EspritCuisine, Charles Réma a signé une réalisation singulière, qui associe l’authenticité d’un bois issu de poutres anciennes (assemblage en planches de largeurs aléatoires et non jointives, vernis à l’eau) à la modernité sensuelle de façades laquées et galbées, couleur mousse réalisée selon le nuancier Sikkens.

En ce qui concerne Portéa, nous sommes plutôt dans la continuité de la nouvelle collection que nous avons sortie au printemps, et pour laquelle nous avons des retours extrêmement positifs. Ainsi les cuisinistes continuent-ils à marquer leur intérêt pour le rangement et l’aménagement sur-mesure, qui leur permettent, dans un contexte concurrentiel, d’aller chercher du budget complémentaire et de la marge sur ces deux segments.

CBM : Vous communiquez assez peu, cependant, sur la salle de bains, qui agrémente pourtant les offres Charles Réma et You : pourquoi ?

Valéry Cottel : L’activité salle de bains au sein du groupe est assez constante, puisqu’elle représente, chaque année, entre 4 et 5 % du CA. Mais je dois reconnaître que nous ne communiquons que parcimonieusement sur le sujet ; notre capacité à faire du sur-mesure et à nous adapter à chaque projet est sans doute plus pertinente et marquée en cuisine qu’en salle de bains. Je pense, pour ma part, que notre clientèle cuisiniste s’oriente plus volontiers, désormais, vers le rangement et l’aménagement sur-mesure… au détriment de la salle de bains, y compris en termes d’exposition dans les showrooms, dans lesquels les dressings ou les bibilothèques sont souvent préférés à l’espace bain pour compléter la cuisine équipée. Néanmoins, le changement de dimensionnel chez Charles Réma en 2023 entraînera une réactualisation de la collection salle de bains. D’autre part, nous avons récemment lancé une nouvelle gamme chez You dans cette famille de produits, qui a suscité un réel intérêt chez nos partenaires ; ce qui nous encourage à continuer de travailler cette offre et ce segment de marché.

CBM : L’appétence dont ont fait preuve les Français pour la cuisine équipée ces deux dernières années est-elle, selon vous, sur le point de s’atténuer ?

Valéry Cottel : D’un point de vue conjoncturel, l’euphorie post-Covid est de toute évidence derrière nous, et ce depuis le printemps dernier.

Toutefois, si l’on considère votre question sous le prisme structurel, je suis convaincu qu’un changement de paradigme a eu lieu. Je m’explique : pendant la décennie 2010-2020, les meubles d’intérieur – dont la cuisine fait partie – ne comptaient pas parmi les priorités des Français… Ceux-ci leur préféraient des produits aux spécificités plus « technologiques », ou consacraient une grande partie de leur budget aux voyages, à la faveur notamment de l’émergence des offres « low costs ».

Or la pandémie a quelque peu bouleversé cet état de fait, en remettant en question, dans l’imaginaire des gens, l’attractivité du « grand village mondial » ; le monde que nous rêvions ouvert et sans contraintes s’est révélé plus dangereux que nous le pensions, et nous entrons à présent dans une logique de «zones», ou de « blocs », qu’il faut notamment réindustrialiser.

Aussi ce repli sur soi au niveau collectif rejaillit-il individuellement sur tout un chacun: dans un monde un peu moins ouvert, dans lequel nous nous déplaçons moins facilement, nous réinvestissons dans la maison “refuge”, ce cocon dans lequel nous nous sentons si bien… et à l’abri d’une éventuelle résurgence de la pandémie. Et cet état d’esprit profite, bien entendu, à la cuisine équipée. Aussi, vous l’aurez compris, je suis très optimiste pour notre secteur à moyen terme… même si je suis plus réservé quant à l’année à venir, qui pourrait connaître, à en croire la Banque de France, une légère récession. J’espère d’ailleurs que le positionnement de nos marques nous protègera dans une certaine mesure, ce qui est le cas à date : les 3ème et 4ème quartiles souffrent toujours un peu moins de l’inflation que les deux premiers.

CBM : Certains fabricants de meubles de cuisine, en France, sautent le pas et s’orientent vers le commerce organisé, en créant leur propre enseigne de distribution: pensez-vous que l’avenir de votre marché est à la franchise ou à la concession ?

Valéry Cottel : La France est certes championne du monde de la franchise, et ce dans tous les domaines; mais, en ce qui concerne la cuisine équipée, je crois à la capacité de résistance des distributeurs indépendants. Il existera toujours, en contre-pied du commerce dit « sous concept », des professionnels qui entendent travailler différemment, sans nécessairement faire la course au volume mais en misant sur leurs compétences, leur savoir-faire, leurs propres méthodes commerciales, et en sélectionnant soigneusement les marques avec lesquelles ils travaillent.

groupe Réma/You/Portea
Décidé à se mettre en ordre de bataille pour absorber une potentielle croissance à venir, le groupe poursuit, en cette fin d’année, le déploiement des investissements industriels consacrés au site de production Charles Réma. Ainsi une extension vaste de 3 300 m2 a-t-elle été livrée fin septembre. Par ailleurs, le nouveau débit automatisé, actuellement en phase de test, rentrera en production en début d’année prochaine.

Sans doute souhaitez-vous savoir si notre groupe entend, lui aussi, créer sa propre enseigne de distribution… À ce jour, la réponse est non ! C’est un métier différent, nous ne pensons pas disposer des compétences suffisantes en interne pour le mener à bien, et il serait difficile de faire cohabiter sous une même marque une offre pour nos partenaires indépendants – qui constituent notre priorité – et une offre « sous concept ». Toutefois, je ne ferme pas complètement la porte : nous surveillons toujours attentivement les mouvements du marché et si nous devions avoir, à moyen terme, l’opportunité d’effectuer une acquisition nous permettant de développer une telle offre, pourquoi pas ?

Mais à chaque jour suffit sa peine: les cuisinistes indépendants sont encore nombreux en France, et c’est à eux que nous consacrons toute notre attention !

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