Simone Spalvieri et Valentina Del Ciotto, designers et fondateurs du studio éponyme.
Spalvieri & Del Ciotto : « Certes primordial, le travail du cuisiniste est aussi subordonné aux possibilités offertes par le modèle tel que le designer l’a pensé. »
Le design peut-il apporter une valeur ajoutée à la cuisine équipée, qui n’est pas (par définition) un produit “fini”, et dont l'esthétique et la fonctionnalité dépendent en grande partie du travail d’agencement du cuisiniste ? L’hyper standardisation qui caractérise l’offre actuellement disponible sur le marché ne rend-elle pas le travail du designer sans objet ? Designers et fondateurs du studio éponyme, Simone Spalvieri et Valentina Del Ciotto nous dévoilent leurs réponses dans cet entretien passionnant et passionné.
Cuisines & Bains Magazine. Le grand public n’associe pas toujours d’instinct la cuisine équipée au design ; de fait, cette discipline leur évoque plus volontiers les meubles de salon, les chaises et les tables, les canapés, les lampes, etc. Cette vision du design est-elle, selon vous, justifiée ?
Spalvieri & Del Ciotto. Nous n'avons jamais considéré que la cuisine équipée n'était pas propice à un travail de créateur. En effet, après avoir acquis de l'expérience dans différents secteurs du design, nous pouvons affirmer qu’elle est l'un des “produits” les plus intéressants et les plus complexes à développer pour un designer. Aujourd'hui, concevoir une cuisine ne signifie pas seulement choisir des couleurs et des finitions, mais aussi aller au fond des processus industriels, optimiser les moules, évaluer à l'avance la grande complexité des éléments qui composeront l'ensemble du projet, etc. Tout doit fonctionner de concert, et c'est la raison pour laquelle le design est un élément fondamental de la cuisine contemporaine. La technique et l'électronique participent d’ailleurs du projet : la cuisine intègre un système d’éclairage, des appareils électroménagers, elle est parfois connectée, et doit également afficher une esthétique cohérente avec la cible de référence. Tout cela relève du design industriel !
CBM. La cuisine n'est pas un produit dit “fini” ; sa valeur ajoutée doit beaucoup au savoir-faire du cuisiniste en charge de concevoir un agencement sur mesure, qui déjoue les éventuelles contraintes que présente la pièce à laquelle le projet est destiné, et optimise le confort de vie dans cette dernière. Considérant ce postulat, est-il judicieux que les designers accordent leur attention à la cuisine équipée ?
S. & D. C. Bien sûr! Certes primordial, le travail du cuisiniste est aussi, d’une certaine manière, subordonné aux possibilités offertes par le mo- dèle tel que le designer l’a pensé. Concevoir une cuisine revient ainsi à construire un “boulier” d’éléments, qui peuvent ensuite être utilisés par le cuisiniste ou l'architecte d'intérieur afin de mettre en place un nouveau scénario de vie. Le projet de conception constitue donc la base de toutes les personnalisations ultérieures. Il est clair, en revanche, que si nous par- lons d'un produit dit “artisanal”, la situation change ; mais, dans ce cas, des critères de temps, de coûts et de méthodes de production différents de ceux de l'industrie entrent en jeu.
CBM. L'évolution des modes de vie (la cuisine, autrefois cachée, est aujourd'hui considérée comme LA pièce à vivre de la maison, on prend de plus en plus de plaisir à cuisiner soi-même pour manger sainement, etc.) contribue-t-elle à donner plus d’importance au design en matière de conception de cuisines équipées ?
S. & D. C. La cuisine évolue en même temps que la société. À l’avenir, nous pourrons certainement distinguer deux types d'offres en matière de cuisines équipées : l’une, très technologique, fera la part belle à un (ou plusieurs) appareil(s), en charge de préparer les aliments en fonction de nos goûts et de nos besoins, et nous permettra ce faisant de consacrer plus de temps aux divertissements et à la socialisation... Pour sa part, la seconde offre se destinera à celles et ceux qui redécouvrent la qualité de la nourriture, de la préparation des repas, du choix des ingrédients, etc. Aussi nécessitera-t-elle de nouveaux outils dédiés à des recettes anciennes, de grands espaces consacrés à la préparation... tout en offrant la possibilité de partager facilement ses expériences culinaires avec d'autres passionnés. Autant de nouvelles possibilités, en somme, qui sont certainement à considérer comme une ouverture à l'innovation et au design.
CBM. Selon certains, la cuisine est devenue “hyper standardisée” au cours des quinze dernières années. Dans ce contexte, le design ne constitue-t-il pas un moyen efficace de se démarquer de l’offre dite standard ?
S. & D. C. Dans une cuisine contemporaine, tout n'est pas standardisé. Les structures internes le sont parce qu'elles nécessitent des étapes de production et de stockage très complexes et coûteuses. Pour le reste, tout peut être conçu. Pour nous, la “limite” devient toujours un élément de construction du projet. Nous adorons nous confronter aux limites parce qu'elles nous permettent d'innover, de déplacer le projet vers d'autres domaines et de lui donner de nouvelles significations.
CBM. En tant que designers, comment abordez-vous la conception d'un modèle de cuisine ?
S. & D. C. Stilo (modèle conçu à l’attention du fabricant Scavolini, NDLR.) est né précisément du désir de dépasser les limites de l'espace de la cui- sine pour se tourner naturellement vers le salon, le bureau à domicile et la salle de bains. L'utilisation du cylindre d'aluminium extrudé nous a permis de créer des poignées, des étagères, des petits bureaux et des barres lumineuses pour les objets. Grâce à des éléments techniques et esthétiques, il est ainsi possible de meubler toute la maison. Nous avons créé un outil, comme nous l'avons précisé; un “boulier” à partir duquel il est possible de dessiner et de créer son propre espace.
SPALVIERI & DEL CIOTTO : « CHAQUE PRODUIT DESIGN DOIT CONSTITUER UNE VALEUR À TRANSMETTRE AUX GÉNÉRATIONS FUTURES. »
Nés en 1982, Simone Spalvieri et Valentina Del Ciotto sont compagnons aussi bien dans la vie intime que professionnelle. Après avoir vécu et travaillé à Milan et à Londres, ils sont actuellement installés à Tolentino, dans les Marches, en Italie. Spalvieri & Del Ciotto Design Studio est un lieu de rencontre où se marient les idées, la recherche et l’expérimentation. Leur travail, marqué par la recherche d’une pureté formelle et fonctionnelle, se développe autour de la conviction que chaque produit design doit constituer une valeur à transmettre aux générations futures, de manière à pouvoir raconter un bout d’histoire et de culture. Le Studio collabore avec certaines des marques les plus renommées du design italien et international, dont Fratelli Guzzini, Lexon, Magis, Poltrona Frau et Zanotta. En 2013, ils remportent le 1er prix du “Top Young Italian Industrial Designers Prize”, remis par Massimo Vignelli lors d’une exposition à l’Istituto della Cultura Italiana de New York intitulée “Slow Design Exhibition”. Ils ont également remporté des prix internationaux comme le Red Dot Award, le China Good Design et le German Design Award.