Suzy de Cuisines Morel
Le « Made in France » : un facteur de succès et de différenciation ?
Les Français privilégient-ils le « Made in France » en matière de cuisine équipée ? Patriotisme économique, prime aux circuits courts et respect du développement durable, garantie de qualité, etc. : Cuisines & Bains Magazine fait toute la lumière sur ce sujet d’actualité.
Les études et les sondages récents qui entendent déterminer si les Français sont, oui ou non, enclins à consommer français se succèdent… et se ressemblent. Le message est clair : nous témoignons d’une volonté croissante de privilégier les produits fabriqués dans l’Hexagone. Tenez, il y a tout juste quelques mois, la conférence « Perspectives Meuble & Maison 2022 » organisée par l’IPEA/Institut de la Maison a dévoilé que 45 % de nos compatriotes attachent de l’importance à l’origine du mobilier acheté, 31 % sont sensibles au « Made in France » et 5 % souhaitent privilégier la fabrication locale. Reste à déterminer si, en matière de cuisine équipée, cette appétence déclarée se traduit dans les faits… Interrogeons, pour le savoir, les industriels tricolores, qui sont sans doute les mieux placés pour faire toute la lumière sur cette question. Président du groupe STF, qui réunit les marques Cuisines Morel, Sagne Cuisines et Pronto, Stéphane Treboux, par exemple, compte parmi ceux qui considèrent que, « depuis le début de la crise sanitaire, les produits fabriqués en France connaissent un regain d’intérêt incontestable ! Les consommateurs se préoccupent de plus en plus de thématiques telles que la consommation écoresponsable et vertueuse, le bien commun, la préservation de l’environnement, etc. Aussi sont-ils de plus en plus attentifs à acheter des produits « Made in France », y compris dans le domaine de la cuisine équipée. »
Président de l’entreprise discac, Cédric Gauchet abonde dans ce sens. Il précise cependant que « le sujet du « Made in France » n’a pas attendu la crise sanitaire pour être évoqué dans le débat public ; en réalité, celle-ci a été un catalyseur du thème de la préférence nationale pour les consommateurs. »
Quant à Valéry Cottel, qui préside aux destinées du groupe Réma / You / Portea, il éclaire d’un avis un peu plus nuancé ce sujet : « Il est difficile de savoir, pour les fabricants de cuisines équipées que nous sommes, si les intentions déclarées des Français de privilégier la production nationale se concrétisent dans les faits. Tous les industriels – aussi bien tricolores que transalpins ou d’outre-Rhin – sortent de la crise sanitaire en affichant des résultats en hausse significative. Les Français ont-ils mieux tiré leur épingle du jeu que leurs confrères italiens ou allemands? Impossible à affirmer ! J’ai tout de même le sentiment diffus que la volonté de privilégier la production nationale progresse peu à peu dans le pays. »
Directeur des ventes et marketing pour la marque Pyram, Cyril Durand pense, pour sa part, que « à qualité, design, service et prix équivalent, nos compatriotes font désormais plus volontiers le choix d’acheter français qu’auparavant. »
Président du groupe Teisseire (Cuisines Teisseire, Teissa), André Teisseire le rejoint d’ailleurs sur ce point : « Pour qui a les moyens, oui, la préférence peut aller au produit français. Toute- fois, la question du prix demeure, bien souvent, un juge de paix dans l’esprit des consommateurs moins aisés. »
Des spécificités de styles existent encore
Soit, mais la question demeure : pourquoi acheter une cuisine équipée de fabrication française ? Les raisons avancées par les uns et les autres sont nombreuses ; aussi tâchons de les passer toutes en revue.
Est-ce parce qu’elle est plus qualitative qu’une cuisine de fabrication allemande ou italienne ? Sur ce point, il faut saluer l’honnêteté de nos interlocuteurs qui, tous sans exception, ont fait justice de cette « fake news », comme on a coutume de qualifier ces contre-vérités aujourd’hui : « Soyons très clairs sur ce sujet : en termes de qualités intrinsèques, les produits français ne peuvent en aucun cas être considérés comme supérieurs aux cuisines italiennes ou allemandes, affirme Cédric Gauchet. Nous utilisons tous les mêmes panneaux, les mêmes ferrures et charnières, etc. Impossible de nous différencier les uns des autres sur ce sujet.» Stéphane Treboux ne pense d’ailleurs pas autrement et précise : «Si différence il y a entre nous et nos confrères européens, elle ne se fait pas au niveau de la qualité du produit mais plutôt en termes de service client.»
Il n’en demeure pas moins que, si de l’avis de tous, la cuisine de fabrication française ne se distingue pas, qualitativement s’entend, de ses concurrentes européennes, certaines spécificités existent encore en matière de styles; notamment en ce qui concerne l’emploi, sans doute plus audacieux, que font les industriels tricolores de la couleur. Directrice marketing, com- munication et relations clients du groupe Réma/You/Portea, Delphine Pochet résume bien ce constat qui fait l’unanimité parmi nos interlocuteurs : « Nous sommes plus proches, culturellement parlant, des consommateurs français que ne le sont nos confrères européens : nous partageons leurs habitudes de vie, de consommation et leurs goûts. Aussi sommes-nous plus à même de percevoir les tendances que prisent nos compatriotes en matière de décoration et d’ameublement. Par exemple, nous accordons aux couleurs « à la mode » une place plus importante dans nos catalogues et nos gammes que les industriels transalpins ou d’outre- Rhin. Ce qui traduit un état de fait : les ménages français sont plus disposés à opter, dans leur cuisine équipée, pour un Terracotta, un beige, ou encore une nuance de bleu ou de vert, que les mé- nages allemands. »
« La France présente des spécificités régionales en matière de styles de cuisines équipées, renchérit Stéphane Treboux. Grâce à nos magasins maillant parfaitement le territoire national, nous savons apprécier les tendances inhérentes à chaque territoire, et y répondre au mieux : style provençal, esprit cottage, chalet alpin, etc. »
Il convient enfin de préciser que, si la cuisine de fabrication française n’est pas mieux conçue qu’un produit allemand ou italien, elle présente, quoi qu’on en dise, certaines garanties de qualité: «N’oublions pas que la France est un pays de normes et de réglementations, précise Valéry Cottel. Aussi la production doit- elle répondre à des cahiers des charges techniques, sociaux ou environnementaux très exigeants, ce qui constitue en soi un gage de qualité.»
Certifcation OGF : un atout majeur
Autre raison avancée pour acheter français, le patriotisme économique; un argument que tous ne souhaitent pas mettre en avant, notamment en période de campagne présidentielle, au cours de laquelle certains candidats s’emparent de ce sujet qui devient, dès lors, très politique.
Les marques Arthur Bonnet et Comera Cuisines, par exemple, qui constituent le groupe Cuisines Design Industries (CDI), préfèrent jouer sur la certification Origine France Garantie (OFG) dont elles peuvent se prévaloir pour susciter des envies d’achat auprès de nos compatriotes : « Nous capitalisons, plus que jamais, sur l’un de nos atouts majeurs, qui correspond à une attente très forte des Français : la certification Origine France Garantie, explique ainsi Virginie Dautriche, directrice marketing et com- munication chez CDI. À l’heure où la fabrication nationale et les circuits courts sont plébiscités par nos compatriotes, nous nous efforçons de mettre, pour nos deux marques, cette valeur ajoutée en avant.» On rappellera incidemment que, pour obtenir cette certification, qui assure aux consommateurs la traçabilité d’un produit en donnant une indication de provenance claire et ob- jective, il faut satisfaire à deux critères cumulatifs : entre 50 % et 100 % du prix de revient unitaire doit être français et le produit doit prendre ses caractéristiques essentielles en France.
L’industrie française de la cuisine équipée n’a pas à rougir
Arthur Bonnet et Comera ne sont d’ailleurs pas les seules marques à être estampillées OFG… Sis en Haute-Marne, le fabricant – de taille modeste, certes – Martinelli Créateur Fabricant a, lui aussi, fait l’effort d’obtenir cette certification. « Nous avons mis un point d’honneur à obtenir ce label qui atteste que la majorité du travail et des éléments essentiels sont bien effectués en France, précise Clément Martinelli, chargé d’affaires pour la société éponyme. Nous sommes très fiers de cette distinction, décernée après un processus très strict de vérification qui s’applique aussi bien au lieu de production qu’aux matières premières. Nous ne sommes d’ailleurs pas moins fiers d’être le seul fabricant, en France, à pouvoir s’honorer de cette distinction pour toutes les familles de produits de l’habitat : cuisines, salles de bains, dressings et meubles meublants.» Incidemment, il convient de préciser que cette entreprise représentait seule les fabricants de cuisines équipées lors de la dernière édition du salon « Made in France », qui s’est tenue l’automne dernier à Paris Expo porte de Versailles ; lors de cet évènement, Yves Jégo ancien Député et Secrétaire d’État, et Président d’Honneur du label Origine France Garantie, est venu féliciter l’entreprise sur son stand.
Pour en revenir à la question du patriotisme, on se permettra d’affirmer, sans verser dans un esprit cocardier, que l’achat d’une cuisine française contribue, entre autres, à soutenir l’emploi national et la bonne santé économique du pays.
Autre point important à soulever et qui concerne directement ce thème : les efforts considérables que consacrent les fabricants tricolores dans le domaine de l’industrialisation. Alors que la crise sanitaire a, en 2020, mis à nu certaines carences nationales en la matière, saluons le fait que Charles Réma ou discac, pour ne citer qu’eux, s’emploient actuellement à faire sortir de terre de nouvelles usines ; et réjouissons-nous que Stéphane Treboux, en faisant l’acquisition des Cuisines Jean-Louis Morel (Bretagne) en 2012, ou de Sagne Cuisines (Gironde) en 2019, ait empêché la disparition programmée de ces usines. Si le tissu industriel français laisse encore à désirer, ça n’est certes pas la faute des fabricants de cuisines équipées.
Des cuisines « Made in France » qui ne font pas trois fois le tour de la terre
Dernier argument à mettre en avant à l’intention de celles et ceux qui s’interrogent sur la possibilité d’acheter une cuisine de fabrication française : privilégier les circuits courts, une consommation vertueuse et contribuer, ce faisant, à la préservation de l’environnement. Tous nos interlocuteurs insistent sur ce point, tel André Teisseire : « C’est un argument de poids, c’est certain !
Je précise à ce sujet que la Maison Teisseire ne travaille qu’avec des matériaux de qualité, dont beaucoup sont traçables. Par exemple, le bois est issu de filières labellisées françaises éco-durables. Et j’ajouterai même que nos cuisines prêtes-à-monter Teissa sont encore plus respectueuses de l’environnement car, là où il faut trois palettes pour livrer une cuisine montée, une seule est nécessaire pour la même cuisine… livrée à plat ! » Quant à Stéphane Treboux, il est plus dissert encore sur le sujet : « En mettant en place ce que j’appellerais une « triangulaire », avec trois usines idéalement réparties sur le territoire national (Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine), nous avons mis au point une stratégie de service optimum, qui permet d’améliorer le service client et de rapprocher les cuisines des revendeurs et des consommateurs. Par ailleurs, nous avons fait en sorte de maîtriser notre logistique en livrant 80 % de nos produits avec nos propres camions et chauffeurs. D’autre part, nous avons tout mis en œuvre pour relocaliser des sous-traitances qui étaient jusqu’alors manufacturées en Europe ; ce qui fait que nous ne souffrons pas de ruptures de stock, dans la mesure où nous maîtrisons une partie importante du « process » de production. Et les consommateurs n’achètent pas un produit qui a fait trois fois le tour de la Terre avant d’arriver chez eux. »
Que peut-on demander de mieux ?