Newsletter
14.7.2021

Franck Pellé (Eberhardt) : « Nous n’avions pas connu depuis quarante ans, sur les marchés de grande consommation, une demande supérieure à l’offre ! »

Président du directoire chez Eberhardt Frères (entreprise qui assure la distribution exclusive en France, dans les DOM-TOM et au Maghreb, des marques Liebherr, Asko et Falmec), Franck Pellé livre, à l’intention des lecteurs de Cuisines & Bains Magazine, une analyse passionnante sur les tenants et les aboutissants de la crise qui bouleverse les marchés depuis plus de dix-huit mois déjà.


No items found.

Cuisines & Bains Magazine : Nombre d’acteurs de la filière cuisine font état de tensions diverses (difficultés de livraison, contingentement en matières premières, etc.) pesant actuellement sur le marché : comment expliquer cette situation pour le moins inédite ?

Franck Pellé : Vous parlez d’or en utilisant l’adjectif « inédite »… Car le fait est là : nous n’avions pas connu, sur les marchés de grande consommation, une demande supérieure à l’offre depuis 1981 et l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République Française.

Avec les deux chocs pétroliers de 1974 et 1976 ont pris fin les « Trente Glorieuses ». Cette époque dorée révolue, la demande allait en s’essoufflant, l’offre devenait pléthorique et le marketing prégnant dans les stratégies d’entreprise ; il s’agissait de tout mettre en œuvre – en termes de communication, notamment – pour faire connaître son produit.

L’arrivée de François Mitterrand – premier président socialiste de la Cinquième République– au pouvoir en mai 1981 a cependant bouleversé cet état de fait ; l’euphorie aidant, nombre de ses électeurs ont dépensé au-dessus de leurs moyens, certains que le niveau de vie, en France, augmenterait sensiblement dans les mois ou les années à venir. De ce fait, la demande est alors redevenue supérieure à l’offre… pour un temps seulement.

Depuis que cette parenthèse, qui n’a duré que fort peu de temps en somme, s’est refermée, la chaîne de fabrication et de distribution nationale a opéré, quarante ans durant, selon une logique d’offre supérieure à la demande ; laquelle a induit des politiques d’optimisation de coûts adoptées par les sociétés, qui ont notamment fait la part belle aux flux tendus et ont peu à peu délaissé la constitution de stocks.

Or, en cette époque post-pandémie, la prime va aux acteurs – et ils ne sont pas nombreux – qui, à contre-courant des habitudes du marché, ont fait le pari du stock !  

Cuisines & Bains Magazine : Mais pourquoi la demande est-elle redevenue soudainement supérieure à l’offre ?

Franck Pellé : Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Tout d’abord, le marché est soutenu par le très fort pouvoir d’achat des consommateurs qui, pendant plus d’un an, ont réalisé des économies en se privant, contraints et forcés, de voyages, de restaurants et autres sorties ludiques. D’autre part, les temps de trajets professionnels ont été réduits de manière conséquente du fait de la généralisation du télétravail. Si je me résume, nos compatriotes se retrouvent à la tête d’une épargne non négligeable, ils passent plus de temps chez eux et sont donc confrontés beaucoup souvent et plus longtemps à une source de frustration : l’inadéquation de leur habitat au confort dont ils rêvent. Or justement, ils ont du temps et de l’argent à consacrer à la rénovation de ce dernier. CQFD.

Il ne faut pas non plus occulter le « contre-exode rural », si j’ose l’appeler ainsi, qui a vu la multiplication des déménagements des centres-villes vers les campagnes, et des appartements vers les maisons individuelles ; ce qui a, bien évidemment, engendré de nombreuses réfections.

Cuisines & Bains Magazine : Quelles sont les conséquences concrètes de cette demande dépassant toutes les prévisions ?

Franck Pellé : L’approvisionnement en matières premières – dont beaucoup sont contingentées – comme en composants, notamment en provenance d’Asie, devient de plus en plus délicat ; quant aux difficultés de transport des marchandises, elles sont ubuesques !

Là encore, la situation est tout à fait inédite… Jusqu’alors, plus vous achetiez de containers, plus le prix du container à l’unité diminuait, ce qui semblait somme toute logique. Or aujourd’hui, la logique est inversée : du fait de pénuries, les commandes les plus volumineuses sont également les plus onéreuses. Le marché est désormais soumis aux enchères !

Songez qu’en 2019, un container en provenance de Malaisie coûtait 1950 € pour arriver dans un port français ; au plus fort de la crise, son prix était passé à 18 000 € et, depuis lors, il oscille entre 15 000 et 17 000 €. Et cette situation devrait perdurer au moins jusqu’au Nouvel An chinois !  

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là… Nous connaissons également une pénurie de chauffeurs de camion pour transporter lesdits containers ; aussi ces derniers restent-ils plus longtemps immobilisés dans les ports, et souvent difficiles d’accès. D’autre part, le marché américain « tire » extrêmement fort ; de ce fait, certains navires dont la cargaison est pour partie à destination des États-Unis et pour l’autre dévolue à l’Europe, mettent parfois directement le cap vers le Nouveau-Monde sans passer par le Vieux-Continent.

C’est ainsi qu’en plus de prix prohibitifs vient parfois s’ajouter un manque absolu en matière de fiabilité des délais de livraison : vous payez très cher une prestation qui risque de n’être assurée qu’à moitié.

Cuisines & Bains Magazine : D’où une hausse des prix – déjà en vigueur ou à venir – pour vos clients et, en bout de chaîne, le consommateur ?

Franck Pellé : Elle est inévitable. Les prix ont déjà augmenté en 2021 et soyez certain que cela sera également le cas l’an prochain. Les négociations sont actuellement en cours entre les fabricants de composants d’un côté et les usines de l’autre, afin que les futurs tarifs soient présentés aux centrales en décembre. Mais ceux-ci seront inévitablement revus à la hausse pour 2022 ; il n’existe pas d’autre alternative, sauf à entrer en conflit ouvert avec ses fournisseurs et à risquer de ne plus être livré du tout.

Il en va pour l’équipement de la maison comme pour le reste, d’ailleurs : à titre d’exemple, le prix du litre de Super à la pompe a augmenté de 40 à 50 centimes depuis le premier confinement.

Cuisines & Bains Magazine : Comment l’entreprise Eberhardt Frères a-t-elle affronté ses difficultés ?

Franck Pellé : Fort heureusement, les marques (Liebherr, Asko, Falmec) que nous distribuons exclusivement en France, dans les DOM-TOM et au Maghreb s’approvisionnent principalement en Europe pour tout ce qui a trait aux composants ; cependant, les coffres Liebherr, qui étaient depuis deux ans fabriqués en Malaisie, ne sont désormais plus sourcés du tout jusqu’à nouvel ordre. Par ailleurs, nous avions, dès le début de la crise, fait le pari du stock, en continuant de recevoir les livraisons usines prévues, et ce malgré la pandémie ; pari qui s’est avéré payant, au vu de nos excellents résultats enregistrés en 2020.

Néanmoins, nous sommes désormais, comme tous nos confrères, pénalisés par les difficultés d’approvisionnement en matières premières, et confrontés au défi de reconstituer nos stocks, qui ont fondu comme neige au soleil lors du premier semestre 2021, vous vous en doutez. Cela étant dit, tous les feux sont au vert, financièrement s’entend, et les ventes sont, dans tous les départements, en très nette progression.

Inspiration aménagement MONOLITH de LIEBHERR. De gauche à droite : congélateur EGN9471-21, cave à vin EWT9275 (9 999 € TTC), réfrigérateur EKB9471-20

Cuisines & Bains Magazine : Comment appréhendez-vous l’évolution du marché en 2022 ?

Franck Pellé : Je demeure confiant ; le marché devrait continuer de très bien se tenir… sauf redémarrage surprise de la pandémie ou contexte social explosif sur fond d’élection présidentielle.

Même s’il n’est pas ressenti avant le second semestre 2022, le retour à une consommation normale – qui est souhaitable et souhaité – s’effectuera tôt ou tard. Reste ensuite à savoir quelles marques bénéficieront de cette normalisation : les acteurs qui auront failli pendant l’épisode COVID souffriront deux fois… dans la mesure où le marché les aura un peu perdus de vue.

Cuisines & Bains Magazine : Cette rentrée marque le grand retour des salons, en France, dédiés au secteur de la cuisine équipée : des rendez-vous qu’Eberhardt tenait absolument à ne pas manquer ?

Franck Pellé : Absolument ! Nous venons de participer, avec les trois marques que nous distribuons, au SADECC – qui s’est tenu à Paris Expo du 1er au 04 octobre – et nous retrouverons le chemin de la porte de Versailles du 20 au 23 novembre prochains pour être présents lors de l’édition 2021 d’ESPRITCUISINE.

Sevrés d’IFA cette année et l’an passé, nous accueillons le retour des salons professionnels avec un plaisir non dissimulé, dans la mesure où nous pouvons à nouveau retrouver le contact humain… et le contact produit. En l’état des choses, nous ne pouvons pas continuer à nous contenter de répondre à la demande ; il faut en revenir, coûte que coûte, à l’offre, donc inciter nos clients à se mettre à jour en termes de nouveautés. Et, entre les produits déjà disponibles depuis mars 2020 et les innovations à venir dans les prochains mois, l’actualité est particulièrement riche, croyez-moi !

Abonnez-vous à notre Newsletter pour être toujours à jour sur nos dernières actualités.