Erika Rastelli (Aran World) : « Le “passeport numérique des produits” prévu par la Commission européenne encouragera les entreprises qui veulent demeurer compétitives à prendre le virage de la durabilité. »
Chief People Officer (membre du Directoire et directrice des Ressources Humaines) d’Aran World, Erika Rastelli est également vice-présidente de la Confédération européenne des jeunes entrepreneurs (Yes for Europe) et porte, à ce titre, une attention toute particulière aux travaux que mène Bruxelles en faveur du développement durable. Dans cet entretien exclusif accordé à Cuisines & Bains Magazine, elle évoque notamment la proposition de règlement baptisée « Écoconception pour des produits durables », sur laquelle se penche actuellement la Commission européenne. Prévu dans ce règlement, le « passeport numérique des produits » renforcera la crédibilité des entreprises les plus vertueuses, ce qui encouragera tous les acteurs de la filière à faire le plus d’efforts possible pour respecter l’environnement.
Cuisines & Bains Magazine : Chief People Officer d’Aran World depuis 2008, vous avez également été élue, en décembre 2022, au poste de vice-présidente de la Confédération européenne des jeunes entrepreneurs (en anglais, European Confederation of Young Entrepreneurs – YES for Europe, NDLR) : pouvez-vous nous en dire plus sur cette organisation ?
Erika Rastelli : Basée à Bruxelles, celle-ci se destine à représenter les jeunes entrepreneurs européens de moins de 45 ans. Fondée en 1988, elle compte plus de 100 000 membres et vise à améliorer les performances économiques et sociales de ces derniers. Nous comptons parmi nos membres les principales associations nationales de jeunes entrepreneurs de la majorité des États membres de l’UE, ainsi que de pays candidats à l’UE tels que la Turquie et l’Albanie, et de pays voisins tels que l’Arménie et la Géorgie. Notre confédération contribue activement à la promotion de l’esprit d’entreprise en Europe et ailleurs. Elle stimule les échanges et l’activité en réseau entre les jeunes entrepreneurs, et favorise la coopération et le partage des meilleures pratiques entre leurs associations nationales, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la formation.
CBM : Vous êtes également membre du Conseil central des Jeunes Entrepreneurs de Confindustria (Confédération générale de l’industrie italienne)…
E. R. : En effet ! Et désormais, je représente l’Italie, c’est-à-dire Confindustria Giovani, au sein de YES for Europe.
CBM : Aran World (et YES for Europe) se préoccupe-t-elle de développement durable ?
E. R. : Tout à fait ! À l’heure ou je vous parle, nous suivons avec beaucoup d’attention une proposition de règlement à l’initiative de la Commission Européenne et que celle-ci a baptisé ESPR, ou « Écoconception pour des produits durables » en français.
Publiée le 30 mars 2022, cette proposition constitue la pierre angulaire de l’approche de la Commission en faveur de produits plus circulaires et plus durables sur le plan environnemental. Elle s’appuie sur la directive sur l’écoconception en vigueur, qui ne couvre actuellement que les produits liés à l’énergie, et souhaite établir un cadre permettant de fixer des exigences en matière d’écoconception pour des groupes de produits spécifiques, en vue d’améliorer de façon significative leur circularité, leur performance énergétique et d’autres aspects liés à la durabilité environnementale. Elle permettra ainsi de fixer des exigences en matière de performance et d’in- formation pour presque toutes les catégories de biens physiques mis sur le marché de l’UE [à quelques exceptions notables, comme les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, tels que définis dans le règlement (CE) n°178/2002]. Pour les groupes de produits qui partagent suffisamment de caractéristiques communes, le cadre permettra également d’établir des règles horizontales.
CBM : En quoi cette proposition concerne-t-elle l’industrie du meuble en général, et de la cuisine équipée en particulier ?
E.R. : La proposition prévoit notamment d’instaurer un « passeport numérique des produits ». Celui-ci fournira des informations sur la durabilité environnementale des produits. Il devrait aider les consommateurs à faire des choix éclairés lorsqu’ils achètent un produit, faciliter la réparation et le recyclage, et améliorer la transparence en ce qui concerne l’incidence de l’intégralité du cycle de vie d’un produit sur l’environnement. Le passeport devrait également aider les autorités à mieux exécuter leurs tâches de vérification et de contrôle.
Autant de conséquences pour notre filière ! Les entreprises qui importent, par exemple, des composants pour fabriquer leurs produits ne pourront plus le dissimuler : cela figurera noir sur blanc dans le passeport ! Lorsque celui-ci sera instauré, il renforcera ainsi la crédibilité des entreprises les plus vertueuses, ce qui encouragera tous les acteurs de la filière à faire le plus d’efforts possible pour respecter l’environnement. En d’autres termes, du fait de ce passeport, si vous voulez demeurez compétitif en tant qu’entreprise, vous devez prendre le virage de la durabilité !
CBM : Quand ce règlement doit-il entrer en vigueur ?
E. R. : Je pense que le règlement entrera en vigueur cet été. La seule chose qu’il nous reste à déterminer, c’est quelles familles de produits et filières seront les premières concernées. Ainsi ai-je récemment participé à une réunion de la Confédération européenne de l’industrie du meuble (EFIC), qui représente notre filière au niveau européen, dont l’objet, entre autres, était de savoir quand notre profession serait concernée par l’entrée en vigueur de ce règlement et de ce « passeport numérique des produits » ; pour l’heure, il semblerait que l’industrie du textile soit la première dans la file d’attente mais, si notre filière n’est pas la première à être soumise à ce passeport, elle sera certainement la seconde !
CBM : Voyez-vous d’un bon oeil ces nouvelles contraintes et obligations ?
E. R. : Oui, bien sûr ; et ce d’autant plus que la durée des produits issus de l’industrie du meuble et de la cuisine est très longue, ce qui rend notre filière parfaitement adaptée à l’économie circulaire. Néanmoins, certains sujets restent à soulever… Je songe, par exemple, aux questions de pollution relative aux process de peinture pour nos meubles. Nombre de fabricants s’efforcent d’utiliser des peintures qui réduisent au maximum les COV (Composés Organiques Volatils) ; mais force est de constater que beaucoup d’industriels utilisent également, en complément, des peintures plus polluantes, qui améliorent l’esthétique du rendu. Donc, si nous voulons être 100 % durables, nos produits doivent être réalisés à l’aide de peintures à l’eau ou de peintures admises par la nouvelle réglementation. Mais les problèmes sont fait pour être surmontés, et j’ai bon espoir pour la suite !
En 2022, le groupe Aran World a remporté le « Sustainability Award »
Soutenue et promue par le Crédit Suisse et le Groupe Kon, cette reconnaissance prestigieuse est dédiée aux entreprises qui favorisent une croissance économique durable, en contribuant au bien-être du pays et en créant de la valeur ajoutée pour le territoire et la communauté. Ainsi le fabricant transalpin a-t-il vu, en 2022, les politiques environnementales, sociales, économiques et culturelles qu’il mène depuis des années récompensées. À titre d’exemple, citions les usines couvertes de panneaux photovoltaïques, l’utilisation de bois certifié et de matériaux recyclables, la gestion attentive des émissions atmosphériques ou encore l’élimination des déchets. Cependant, la durabilité ne signifie pas seulement protéger l’environnement, mais aussi créer les conditions pour assurer le bien-être et une meilleure qualité de vie aux générations futures, ou lutter contre les inégalités à travers le développement et la croissance économique et culturelle de chaque territoire. Or Aran World a été évaluée selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise spécifiques (ESG) qui évaluent l’impact environnemental direct et indirect, ainsi que l’impact social et les politiques de transparence, particulièrement
utiles pour les investisseurs. Le lien étroit de l’entreprise avec le territoire des Abruzzes – où elle finance de nombreuses activités culturelles, sportives et de formation – et son esprit international ont ainsi été décisifs dans la décision de remettre ce trophée à Aran World. « C’est un honneur pour nous de recevoir le prix de la durabilité, a déclaré Erika Rastelli, mais aussi pour notre territoire et nos employés qui s’efforcent de rendre l’entreprise de plus en plus durable chaque jour. »