À en croire le journaliste – et député de la Seine – Camille Desmoulins, l’échec de la fuite du Roi Louis XVI, en juin 1791, tient pour beaucoup… aux pieds de porc à la Sainte-Menehould ; gourmet et gourmand, celui-ci ne sut pas résister au plaisir de s’arrêter dans la capitale de l’Argonne, pour déguster cette spécialité que le monde nous envie. Et, reconnu par le fils du maître de poste Drouet, il fut ensuite arrêté à Varennes… Mais est-ce bien là la vérité ? Tâchons d’y voir plus clair, et de comprendre en quoi ce plat si particulier aurait pu causer la perte de celui que d’aucuns qualifiaient alors cruellement de « Capet cochon »…

Flambez ce qu’un cochon peut avoir de pieds, c’est-à-dire quatre, en général ; ratissez-les, lavez-les à l’eau chaude, faites qu’ils soient bien propres, fendez- les en deux, rapprochez les morceaux l’un contre l’autre ; entortillez-les de ruban de fil, appelé ruban à tabliers, exactement comme si un perruquier faisait une queue ; cousez les deux bouts du ruban, faites-les cuire dans une braise ou dans du bouillon, comme les queues à la purée. Egouttez-les, laissez-les refroidir, ôtez-en les rubans, séparez ces morceaux ; trempez dans du beurre fondu, panez-les, faites-les griller, et servez à sec.
Dans son « Grand dictionnaire de la cuisine« , Alexandre Dumas se garde bien d’oublier la recette du « pied de cochon à la Sainte-Menehould » ; gastronome accompli, il est aussi un homme de grand savoir, qui sait que pareille omission constituerait un outrage à l’Histoire autant qu’un affront à la gastronomie française !

Mais pourquoi diable les pieds de celui que Grimod de la Reynière baptisait, dans un éloge émouvant, « Le roi des animaux immondes« , font-ils parler autant qu’ils font saliver ? Car enfin, on ne lui connaît guère que des qualités, comme l’explique le père la de gastronomie occidentale moderne :
C’est celui dont l’empire est le plus universel et les qualités les moins contestées. Sans lui, point de lard, et par conséquent, point de cuisine ; sans lui, point de jambon, point de saucisson, point d’andouilles, point de boudins noirs, et par conséquent, point de charcutiers.
Et point de pieds… Surout lorsqu’ils sont accomodés « à la Sainte-Menehould » ; c’est que, voyez-vous, la capitale de l’Argonne s’est très tôt distinguée en préparant lesdits petons de telle sorte que, bouillis longtemps puis panés, ils peuvent être dégustés ENTIÈREMENT… Même les os fondent dans la bouche ! Voilà une fort belle manière, me direz-vous, d’établir sans réplique que « tout est bon dans le cochon » !
Un animal si succulent, du reste, qu’il aurait même, à en croire les chroniques de l’époque, causé la perte de l’un de nos plus célèbres monarques… Je songe, bien sûr, à celui que ses détracteurs d’alors avaient fort cruellement baptisé « Capet Cochon ».

L’épisode de la fuite du roi Louis XVI à Varennes est un fait historique attesté ; en revanche, les circonstances de son arrestation ont longtemps prêté à débat. Ainsi Camille Desmoulins, l’une des plus belles figures de la Révolution française et rédacteur-en-chef du « Vieux Cordelier », n’hésitera pas à faire courir la rumeur, dans l’une de ses publications, que Louis XVI, passant par Sainte-Menehould et sacrifiant à sa passion pour les pieds de cochon, perdra bêtement du temps, attablé dans une auberge locale, à s’en offir une ventrée ; de sorte Jean-Baptiste Drouet, maître de poste, aura le temps de chevaucher jusqu’à Varennes, pour prévenir la Garde Nationale de l’arrivée imminente du traître et lui demander de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l’arrestation du ci-devant Roi de France.
Quoique peu plausible, cette fable amusera beaucoup les Français ; au point que l’on consacrera, sitôt « l’échappée » rattrapée à Varennes, de nombreuses caricatures au « gros Capet » et à sa « famille de cochons », ramenée à l’étable à Paris. Cependant la vérité, vous vous en doutez, est tout autre, comme nous l’explique Alexandre Dumas :

Louis XVI ne s’arrêta à Sainte-Menehould que le temps d’y être reconnu par le fils du maître de poste Drouet qui, lui-même, sella son cheval et partit par des chemins de traverse, afin d’arriver avant le roi à Varennes ; il le précéda en effet de quelques minutes, et le roi fut arrêté en face de l’hôtel.
Peste ! La version de Camille Desmoulins était tellement plus plaisante à lire ou à entendre, pourtant ; ce que la vérité y perdait, ma foi, le folklore y gagnait… Et puis, avouons-le : on en venait presque à excuser le roi de France, en fuite vers la place forte de Montmédy, de s’être arrêté à Sainte-Menehould pour déguster la spécialité locale, tant celle-ci enivre les papilles !