Alors que les onze fédérations majeures du commerce et de la restauration, dont la FNAEM et la FENACEREM, ont, dans un communiqué en date du vendredi 10 avril, dénoncé l’attitude du Conseil national des centres commerciaux et appelé le gouvernement à prendre des mesures obligeant les bailleurs à soutenir le commerce, cinq commerçants administrateurs du CNCC ont démissionné du « board » de manière fracassante le jour même de la diffusion dudit communiqué ; ceux-ci n’entendent servir « ni d’alibi ni de caution aux bailleurs ».
Ça chauffe entre les foncières et les enseignes, a-t-on envie d’écrire de manière un peu cavalière… De fait, le fossé entre ces parties s’élargit de plus en plus à mesure que les jours passent ! En effet, cinq commerçants administrateurs du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ont démissionné en bloc le vendredi 10 avril 2020 ; il s’agit de Philippe Chaumais (Maisons du Monde), André Tordjman (Little Extra – Du Bruit dans La Cuisine), Stephan Goenaga (Kiabi), Dan Ohnona (Fnac-Darty) et Noël Moussali (Vivarte).
Dévoilée par notre confrère La Correspondance de L’Enseigne, cette démission a été officialisée dans un courrier adressé au délégué général du CNCC, et que nous avons pu consulter :
Nous avons accepté le mandat d’administrateur du CNCC et nous avons été élus par notre collège, dans le but de contribuer à un dialogue constructif entre les bailleurs et les commerçants.
Nous regrettons qu’au cours de notre mandat, nous n’ayons jamais été consultés sur les sujets intéressant le commerce et tout dernièrement sur l’ensemble des prises de position du CNCC liées à la crise du Covid19, notamment celles qui concernaient la suspension des loyers et la réouverture des magasins.
Considérant que nous ne pouvons pas exercer dans de bonnes conditions notre mandat et que le rôle d’administrateur enseigne ne doit servir ni d’alibi ni de caution aux bailleurs, nous avons décidé de démissionner dès ce jour de nos postes d’administrateurs du CNCC.
« Une absence totale de solidarité des bailleurs »
Plus tôt dans la journée, les 11 fédérations majeures du commerce et de la restauration, dont la FNAEM (Fédération française du Négoce de l’Ameublement et de l’Équipement de la Maison) et la FENACEREM (Fédération du commerce et services de l’électrodomestique et du multimédia), avaient dénoncé, dans un communiqué de presse, les propos tenus par le CNCC la veille. Elle avaient notamment regretté « l’absence totale de solidarité des bailleurs qui marque un profond mépris à l’égard de leurs partenaires commerçants. » Selon le communiqué de presse co-signé par les 11 fédérations, « Les bailleurs de centres commerciaux, à travers la voix du CNCC, considèrent que les loyers doivent être perçus normalement, sauf pour les plus petits commerçants auxquels il est proposé un étalement sur 24 mois (et non une annulation). Ce discours est en décalage complet avec la réalité de la situation économique et sociale. »
Les fédérations avaient notamment déclaré :
Par la voix du CNCC, les bailleurs ont fermement refusé de marquer leur solidarité avec les commerçants face à la crise sanitaire et économique du Covid-19. Nous demandons aux bailleurs de revenir sur ces déclarations qui témoignent d’une incompréhension totale des conséquences économiques et sociales de la crise. Nous demandons au Gouvernement de protéger tout de suite les commerçants en étendant les dispositions des ordonnances interdisant aux bailleurs de faire jouer les clauses résolutoires, les cautions ou garanties bancaires. Cette mesure doit permettre de se donner le temps nécessaire pour mettre en place des dispositions de sortie de crise sauvant un maximum d’emplois et de commerçants. Sans traiter du problème crucial des loyers, cet objectif ne pourra être atteint, et l’argent public du chômage partiel et des prêts garantis par l’État aura été largement gaspillé.
La neutralisation des effets du paiement et le report des effets de la clause résolutoire
L’origine du conflit est à chercher parmi les ordonnances prises par le gouvernement dans le cadre de la loi d’urgence adoptée par le Parlement le 22 mars dernier. Il s’agit plus précisement de deux ordonnances intéressant le domaine des Baux :
- L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;
- L’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.
Celles-ci ont notamment permis de mettre en place plusieurs mesures, dont la neutralisation des effets du paiement et le report des effets de la clause résolutoire. On songe notamment à l’article 4 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, qui établit que:
Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Selon un papier mis en ligne sur le site Interne du cabinet d’avocats BJA, « les bailleurs de locaux professionnels et commerciaux, en application de cet article, ne peuvent donc plus réclamer ou mettre en œuvre à l’encontre de leur locataire qui ne paye pas ses loyers, des pénalités ou intérêts de retard, des dommages-intérêts, des astreintes, toute clause pénale ou clause résolutoire. »
Toutes les entreprises ne sont pas concernées
Selon le cabinet d’avocats BJA, ces ordonnances ne concernent cependant que ;
- Les personnes physiques ou personnes morales de droit privé ayant débuté leur activité avant le 1er février 2020 et dont l’effectif est inférieur ou égal à 10 salariés.
- Qui ont réalisé un chiffre d’affaire de moins d’1 million d’euros HT sur le dernier exercice clos, ou un chiffre d’affaire mensuel moyen de moins de 83 333 euros HT entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020.
- Et sans avoir un bénéfice imposable (augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant) de plus de 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (lorsque l’entreprise n’a pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable, augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, est établi à la date du 29 février 2020, sur la durée d’exploitation et ramené sur douze mois).
Par ailleurs, l’entreprise :
- doit avoir faire l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020.
- Ou subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;
Le cabinet BJA précise enfin que « les dispositions de l’article 4 Alinéa 1 s’appliquent uniquement aux loyers échus après le 12 mars 2020 et durant un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit pour l’heure jusqu’au 24 juillet 2020. »
« Un appel solennel aux grandes enseignes internationales et nationales«
Dans un communiqué en date du 9 avril, le CNCC, précisant les recommandations faites à ses adhérents concernant les modalités du report des loyers et des charges ayant fait l’objet d’une suspension, avait appelé à une plus grande solidarité entre toutes les enseignes :
Le CNCC lance un appel solennel aux grandes enseignes internationales et nationales et entreprises moyennes en bonne situation financière, pour qu’elles s’acquittent de leurs échéances contractuelles, ne serait-ce que par solidarité avec les « petits » locataires : la capacité des propriétaires à honorer leurs propres engagements bancaires et obligataires et à venir en soutien des petits commerces et des entreprises moyennes en situation particulièrement tendue en dépend.
Et de préciser :
Le CNCC encourage les propriétaires à affecter une partie des encaissements de loyers aux dates contractuelles en provenance des grandes enseignes et des entreprises moyennes en bonne situation, à des mesures supplémentaires individuelles en faveur des locataires les plus fragilisés.
Des propos qui n’ont pas été du goût des 11 fédérations majeures du commerce et de la restauration. ; pas plus, du reste, que des cinq commerçants administrateurs du CNCC. Affaire à suivre…