Président du groupement de cuisinistes indépendants, Agensia, Marc Edel livre un regard pratique et sans concession sur l’achat d’une cuisine. Pièges à déjouer, conseils à suivre : regards sur un acte beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît.
Cuisines & Bains Magazine : Les grandes enseignes du secteur de la cuisine équipée, en France, semblent plus que jamais mettre l’accent sur le service et la satisfaction du client. Faut-il y voir un signe encourageant ?
Marc Edel : Si certains professionnels font réellement de la satisfaction client leur préoccupation principale, je me méfie du discours de certaines grandes enseignes, qui n’est autre que de l’emballage marketing. Il est des groupes pratiquant la vente industrielle de cuisines dite «sur mesure» qui, établissant leur modèle économique sur le volume, ne peuvent plus tirer sur les prix ; ils se voient donc contraints de trouver un habillage, sous la forme de services proposés, pour rassurer le consommateur. Mais la compétence pour assurer lesdits services (la prise de cotes dans les règles, le respect des normes, le travail d’agenceur d’intérieur, etc.) est-elle toujours au rendez-vous ? Je ne le pense pas… Il est navrant mais inévitable de constater que les fameuses techniques de vente décriés par les media, et qui n’ont pas évolué en trente ou quarante ans, demeurent plus que jamais une réalité sur le terrain. Retenez qu’en matière de techniques de vente, plus le mensonge est gros, plus il fonctionne. Mais comme le recours aux grosses ficelles ne semble plus suffisant, certains acteurs s’arrogent, de manière mensongère, des compétences qu’ils n’ont pas, pour s’acheter une légitimité à travers la communication. Il y a là d’ailleurs un paradoxe cultivé par nos compatriotes (sourire) : s’ils sont capables de pratiquer le dégagisme en politique, beaucoup parmi eux se laissent encore berner en tant que consommateurs, malgré toutes les émissions diffusées à la télévision sur les comportements un peu «légers» de certains cuisinistes à leur égard.
Le nouvel agencement offre, grâce à l’îlot et au linéaire exploitant toute la longueur du mur, une surface de préparation beaucoup plus importante. Quant à la télévision, elle se révèle moins encombrante suspendue au mur que posée sur le plan de travail. ,CONCEPTION ET RÉALISATION, CUISINES DÉCO. DÉCORATION D’INTÉRIEUR, PEGGY GUEZELLO. CUISINE SNAIDERO
CBM : Faut-il alors penser que l’image de la profession donnée par les reportages consacrés à la cuisine équipée et, le plus souvent, tournés en caméra cachée, n’est pas si éloignée de la réalité ?
ME : Il faut raison garder et veiller à ne pas faire de généralités sur cette question. Mais oui : il est certain, comme je viens de l’évoquer, que certaines pratiques tendancieuses demeurent. N’oubliez pas que la cuisine est un acte d’achat rare dans la vie d’un consommateur : il en acquiert une tous les 23 ans en moyenne, si l’on en croit les statistiques les plus récentes. Bien souvent, il ne sait donc pas ce qu’il achète avant de la voir installer et de l’avoir utilisée. Ces 2 critères sont finalement les seuls qui valent vraiment pour juger de la satisfaction du client. Or celui-ci est bien obligé de signer sa cuisine avant de la voir posée, pas moyen de faire autrement ; à ce stade, c’est très souvent la remise qui motive l’acte d’achat. Il faut retenir que sur le segment de la cuisine équipée, la concurrence a explosé. Certains commerçants se hâtent donc de signer le client au premier rendez-vous, faute de quoi celui-ci ira voir ailleurs dans 95% des cas. D’où une pratique trop souvent excessive des remises. Cependant il est un fait que celles-ci ne sauraient occulter : la cuisine sur mesure – et le service qui va avec – a un coût, tout professionnel qui se respecte n’en démordra pas. Faire fi de ce coût au profit d’un rabais attractif peut donc se révéler être une erreur. Cet avertissement vaut d’ailleurs pour l’électroménager comme pour les meubles de cuisines. Avant, il était disponible moins cher sur Internet. Aujourd’hui, de nombreuses enseignes «plombent» l’électroménager afin de concurrencer l’offre digitale et demeurer attractifs. Or certains particuliers, dès lors qu’on leur propose les appareils en question à – 40 %, sont ferrés ; il faut au contraire se garder de ces comportements d’achat un peu impulsifs, et que l’on peut être amené à regretter par la suite.
La contrainte principale de ce projet consistait à conserver l’escalier ET à tout casser afin, notamment, d’amener l’eau dans la pièce, de créer un faux-plafond pour l’éclairage, de changer le carrelage, etc. Un travail à confier, de préférence, à un vrai spécialiste. CONCEPTION ET RÉALISATION, AI CONCEPT. CUISINE SANTOS
CBM : En somme, le consommateur a intérêt à réfléchir à deux fois avant de signer…
ME : Il doit surtout se retenir de signer à la première remise – en particulier si elle est exorbitante – proposée ; elle n’occulte pas un besoin de compétence bien réel pour concrétiser le projet à sa satisfaction. Par chance, le fait que le bon de commande ne devienne définitif qu’après la prise de cotes le protège quelque peu des «maquignons» qui, jadis, ne prenaient même pas la peine de se rendre chez lui pour effectuer ce travail. Or dans le cadre d’une cuisine sur mesure, la prise de cotes est fondamentale : pour les mesures, les contraintes de livraison, pour vérifier si les installations électriques sont aux normes, ou si les supports pourront supporter des meubles hauts qui pourront peser jusqu’à 180 kg une fois chargés, etc. Après, il importe de juger du degré de compétences du professionnel en matière de conception et de pose de cuisine. Et là, c’est souvent plus délicat…

Sous le four à micro-ondes prend place le lave-vaisselle intégrable ; à mi-hauteur, celui-ci offre plus d’ergonomie au projet et permet un alignement impeccable, très esthétique, avec le four combi-vapeur et le tiroir chauffant voisins. On remarque également que l’évier, les fours et la table de cuisson forment un triangle d’ergonomie parfait ! CONCEPTION ET RÉALISATION, BARBRY CUISINES. CUISINE CHARLES REMA
CBM : Mais le fait d’avoir recours à un cuisiniste indépendant présente-t-il une garantie en matière de compétences ?
ME : Garantie… Le mot est trop fort : techniquement, certains indépendants peuvent être mauvais, ne nous voilons pas la face. A contrario, certains membres d’un réseau de franchise, par exemple, font très bien leur travail. Je pense cependant qu’un indépendant n’est pas prisonnier d’une seule et même marque. Il dispose de plus de liberté et d’objectivité dans son discours comme dans sa relation avec le consommateur. Si la marque avec laquelle il travaille ne lui convient pas, il peut toujours en changer. Et s’il est multimarque, il peut plus aisément adapter le projet au budget du client et travaillera alors plus facilement selon les voeux et les besoins ; que ceux-ci soient d’ordre technique ou esthétique. D’autre part, la taille plus petite des cuisinistes indépendants implique une proximité et un engagement plus important. C’est la qualité de la vente qui est prioritaire, pas la quantité des ventes des magasins sous enseigne.

Si cette réalisation n’est pas à proprement parler une petite cuisine, elle prend place dans un couloir qui, réunissant deux pièces en une, présente certaines contraintes d’agencement propres aux espaces exigus ; lesquelles ont été déjouées fort habilement par le cuisiniste. Il s’agissait de la rendre aussi fonctionnelle que possible. Aussi la première partie du volume – la plus longue – est-elle dévolue au stockage, tandis que les activités de préparation, de lavage et de cuisson s’effectuent dans l’espace plus étroit au fond du couloir. CONCEPTION ET RÉALISATION, ONIRIS. CUISINE SCHÜLLER
CBM : Comment dès lors évaluer le prix d’un service ou d’une compétence, qui justifie bien souvent un coût plus élevé ?
ME : C’est toute la question, n’est-ce-pas ? La différence qualitative induit bien souvent celle qui est d’ordre budgétaire. Cependant les Français sont normés, en ce qui concerne le coût de la cuisine, entre 1999 et 5999 €. Ils ont donc bien du mal à appréhender le prix d’une réalisation qu’ils ont vu dans un magazine (sans prix, évidemment), qui les a séduit mais qui, dotée d’un plan en Corian®, d’un mitigeur professionnel et d’appareils électroménagers dernier cri, atteint les 20 à 25 000 € en magasin ; la déception est cruelle. Le tout est de savoir expliquer la différence qualitative, donc budgétaire, dans des termes qui parlent au consommateur : savoir lui expliquer l’importance de la densité ou de la rigidité du caisson (plus solide, donc plus apte au chargement, et moins sensible à la déformation dans le temps, ce qui permettra aux façades de rester alignées), c’est tout un art ! Se contenter d’explications techniques ne suffit pas : il faut savoir aborder le sujet d’un point de vue ergonomique ou esthétique. Toutefois, certains cuisinistes, même chevronnés, ont parfois peur, à expliquer trop de choses et à proposer trop de produits à valeur ajoutée, de manquer leur vente. Ils choisissent donc de rester le plus simple possible dans leur offre et leurs explications ; mais ce faisant, ils créent moins de différences et rentrent dans la norme. Et arrivé à ce stade, c’est à nouveau le prix – et l’éventuelle remise – qui sont les seuls critères de choix.

La cuisine, pour mieux se marier au séjour avec lequel elle partage le volume, gagne à devenir la plus meublante possible ; elle doit faire oublier, autant que faire se peut, son état de cuisine, pour faciliter l’intégration au salon. On retrouve notamment la patte du spécialiste dans le choix d’un évier en Corian® moulé dans la masse qui, sans joints visibles, dissimule sa nature de pièce d’eau ; ou dans le choix d’un bloc armoire qui, intégrant tout l’électroménager, ne laisse rien deviner de son contenu. CONCEPTION ET RÉALISATION CULINELLE. CUISINE LEICHT
CBM : Que penser de l’électroménager connecté, dont on entend tant parler ?
ME : Chacun a son opinion sur la question. Pour ma part, je trouve que, si certaines fonctionnalités – notamment dans les domaines du SAV et de la détection des pannes – peuvent se révéler très pratiques, la question de la gestion à distance est un peu gadget ; après tout, on cuisine à domicile. Certains fabricants essaient de faire le buzz pour créer artificiellement de la valeur ajoutée et justifier d’une hausse des prix. Car il faut bien savoir que la sortie d’une nouvelle collection d’électroménager s’accompagne bien souvent d’une augmentation tarifaire ; le connecté contribue à la justifier. Mais en ce qui me concerne, je préfère privilégier la performance plutôt que de multiplier les assistances.

La difficulté de ce projet consistait à tirer le meilleur parti de cette pièce dont le mur principal est incurvé et l’autre occupé en partie par un radiateur. Ainsi le choix d’un unique linéaire, réunissant les postes de lavage et de cuisson, offre une surface de préparation conséquente. Quant au travail au niveau des meubles et des découpes de plan de travail il a été millimétré. CONCEPTION ET RÉALISATION, SÉLECTION CUISINES. LA CUISINE FRANÇAISE
Comment définir la cuisine sur mesure ?
MARC EDEL : « Il est bien difficile de donner une définition précise de la cuisine sur mesure. Existe-t-elle seulement ? Elle n’est pas un produit fini tel que peut l’être une table, par exemple, que l’on achète à un prix donné dans des dimensions bien définies ; comme son nom l’indique, la cuisine est conçue à la mesure de l’habitat du particulier. Mais cela ne suffit pas, selon moi, à la caractériser. Le particulier qui se rend dans une enseigne de grande distribution, par exemple, rentre les dimensions et contraintes de la pièce à laquelle il destine sa cuisine dans un logiciel et appuie sur la fonction «autoplan» : va-t-il pour autant obtenir une cuisine sur mesure ? Dans un certain sens, oui, car elle est dessinée à la mesure de la pièce. Mais quid de l’optimisation de l’espace, de son ergonomie, de son esthétique, de la pose, ou encore du respect des normes ? Une cuisine sur mesure, selon moi, c’est un produit ET un service. Celui-ci intègre, entre autres, une prise de cotes dans les règles : combien de particuliers se sont fait poser une cuisine sans que le concepteur n’ait vu l’espace ? C’est pourtant primordial si l’on veut optimiser ce dernier en fonction des habitudes, contraintes et modes de vie du consommateur. On peut tout aussi bien parler du respect des normes : si le concepteur ne va pas sur place, il ne sera pas en mesure de juger si, oui ou non, le tableau électrique est suffisamment puissant ou aux normes. Que se passe-t-il, après, s’il y a un souci ? Le professionnel qui prétend concevoir et poser des cuisines sur mesure a pour devoir de prévenir le client d’une telle éventualité. Idem pour l’aspiration : il faut des compétences solides pour l’optimiser et ne pas générer de risque pour le client. »
Faut-il, oui ou non, acheter l’électroménager chez le cuisiniste ?
MARC EDEL : « Chacun fait comme il l’entend : il faut respecter le fait que certaines personnes trouvent plus avantageux, pour des raisons budgétaires, de se fournir sur Internet ou chez un grossiste ; encore faut-il assumer les risques inhérents à un tel achat. Chez Agensia, nous proposons à nos adhérents une décharge à faire signer à leur client si tel est le cas : celui-ci s’engage alors à réceptionner le ou les appareils, à les déballer et à les renvoyer s’ils sont défectueux. Le cuisiniste, quant à lui, facture la pose desdits appareils. Au fond, on en revient toujours au même problème. La partie émergée de l’Iceberg, le prix en l’occurrence, peut être facilement appréhendée par le consommateur ; ce qui importe, c’est de lui permettre de comprendre que la partie immergée dissimule tous les avantages que lui apporte un vrai professionnel en contrepartie d’un prix plus élevé. »
Agensia : un groupement de professionnels indépendants
Regroupant 350 professionnels indépendants animés par des valeurs communes, Agensia s’attache notamment à mutualiser la capacité d’achat et le savoir-faire de ses adhérents. Le groupement est ainsi en mesure de bénéficier d’un véritable pouvoir de négociation avec les fabricants de cuisines et les marques d’électroménager, afin d’offrir aux particuliers les meilleures conditions d’achat. Et, libres de tout engagement avec l’une ou l’autre marque d’électroménager ou de meubles de cuisines, les adhérents Agensia, qui travaillent le plus souvent avec plusieurs produits et non pas un seul, sont en mesure de garantir à leurs clients un choix étoffé : les meubles, accessoires et appareils électroménagers seront choisis uniquement en fonction de l’esprit du projet de chacun. En somme, le produit est au service de la cuisine, et non pas le contraire. Cette démarche qualitative, qui va à l’encontre des phénomènes de standardisation désormais courants, s’accompagne d’une politique de services très développée : prise de cotes, vérification des supports et des angles, du tableau électrique, de l’accessibilité pour la livraison, coordination des intervenants, SAV, etc. Et, conscients d’engager la réputation de ce groupement fondé sur des valeurs de qualités et de compétences, certains des cuisinistes agréés Agensia sont d’ailleurs susceptibles de proposer à leurs clients différentes garanties, dont « une convention de garantie d’acompte ou de livraison », ainsi qu’une « garantie 5 ans sur l’électroménager ».